Par Angelica Muller

L’Occupation de la Maison du Brésil

« Pendant la matinée du 29 mai, suivant l’exemple de nos camarades espagnols, grecs, argentins et portugais, un groupe des révolutionnaires brésiliens, avec le soutien de leurs camarades français et d’autres nationalités, ont libéré la MAISON DU BRÉSIL de l’administration laquaie et de la dictature militaire du président Costa e Silva. »

Ainsi commença le dépliant du Comité d’Occupation de la Maison du Brésil, la septième à être occupée dans la Cité Universitaire. Avec des portraits et pensées de Lenine, Mao Tsé-Toung, Fidel Castro et du « grand lideur » Che Guevara, le drapeau rouge a été hissé, à 3 heures du matin, dans la résidence du directeur pour démontrer l’ouverture d’une nouvelle phase : liberté d’idées et d’engagement politiques pour les brésiliens et pour les latino-américains qui étudient et travaillent en France, selon ses participants dont le nombre varie beaucoup, entre 30 et 100 personnes. Le bâtiment a été occupé pendant 45 jours. Comme les comités d’occupation avaient pour objectif de soutenir le mouvement révolutionnaire français et également de protester contre les régimes en place dans les pays respectifs des occupants, le cas du Brésil n’a pas fait exception.

Car le 1er avril 1964, le Brésil connait un coup d’état organisé par des civils et des militaires qui renversent le Président João Goulart (1961-1964). La dictature militaire durera 21 ans. Durant la guerre froide, l’anticommunisme, de longue tradition au Brésil depuis les années 1920, a été stimulé par le « danger » de la révolution cubaine (1959). L’anticommunisme et la question de la corruption ont servi de motifs pour renverser le gouvernement. L’un des axes des militaires fut de neutraliser et d’éliminer les opposants dits communistes ou liés aux idées « gauchistes » et « subversives ». Et c’est pourquoi les étudiants, qui exercent pendant les années 1960 un rôle très fort d’opposition à la dictature, ont été soumis à une forte surveillance. Au Brésil et à l’extérieur.

Les événements de mai 1968 ont commencé à résonner rapidement parmi les résidents et, le 24 avril, le Comité des résidents a tenu une réunion avec le directeur afin d’établir un programme culturel pour les mois à venir et parler du problème de la libéralisation du régime des visites, en vue de ces événements.

L’occupation de la Maison a été rapportée le lendemain dans Le Monde . Selon le journal l’occupation n’a pas été paisible et les étudiants brésiliens et français qui ont soutenu et participé aux mouvements de protestation furent molestés. Le pire est arrivé quand un étudiant, qui aurait été ouvertement opposé au mouvement et prétendait établir une liste des résidents communistes pour la remettre à la police fut enfermé dans sa chambre et interrogé longuement, comme le relate le journal. Il s’agissait du docteur Gilberto Mauricio Pradez de Faria, à qui l’Ambassade conseilla de retourner au Brésil. C’est l’Ambassade brésilienne, elle même très en contact avec le Ministère des Affaires Etrangères de la France, au travers de la Direction des relations culturelles qui signala l’événement : « le docteur (…) qui a été obligé par la force de signer un papier le déclarant ‘agent anti-communiste à la solde du gouvernement brésilien’, de même qu’un reçu d’une somme d’argent qui lui a été extorquée pour aider la lutte révolutionnaire ».

Le même sort a été réservé au directeur de la Maison ce soir du 30 mai. Après avoir inspecté toute sa maison, les étudiants menèrent un interrogatoire sur la situation du directeur par rapport au gouvernement brésilien. Luis Lisanti fut expulsé de sa résidence le lendemain.

Lors de la réunion du 22 mai, les résidents de la Maison du Brésil, conformément aux propositions du mouvement étudiant, ont adopté la cogestion comme mode de vie communautaire à la MB. Le sujet de la cogestion, mot d’ordre parmi la gauche française à ce moment-là, ainsi que la question des libertés (liberté d’expression et politique) et la dénonciation de la dictature brésilienne seront au centre des discussions et des actions dans les années qui vont suivre, entre les résidents, la direction de la MB et la CIUP.

La Maison a été libérée le 12 Juin, date à laquelle Lisanti est retourné et a commencé le processus pour déterminer les pertes matérielles, en proposant aux résidents et aux fonctionnaires de signaler leurs biens volés. Bien que la plupart ait répondu par la négative, le directeur a déposé une plainte en justice et un procès-verbal de constat fut établi.
D’un autre côté, les occupants ont reçu le soutien d’ intellectuels tels que Jean-Paul Sartre et Julio Cortázar, puis la lutte pour « le changement des structures sociales et en particulier, celles de l’université, la rupture des liens avec les gouvernements fascistes ou militaristes et tous ceux qui sont directement ou indirectement au service de l’impérialisme » a continué.